Cette enluminure, dépourvue de référence scripturaire en marge, équivaut à un tableau de dévotion. Le traitement est monumental : la feuille d’or inonde la page de la lumière intemporelle des retables. Le montant vertical de l’immense croix du Christ dépasse en hauteur et l’écriteau rouge sans inscription se confond avec la bande ornementale du cadre. Le Christ saigne abondamment en raison des blessures infligées par les clous et la lance qui lui a percé le flanc ; le sang dégoutte le long de ses bras, de ses jambes et de ses pieds, pour finir en flaque au pied du calvaire. On distingue un crâne humain dans l’anfractuosité du rocher où est plantée la croix : cette représentation du Golgotha (« lieu du crâne », en hébreu) est éminemment symbolique puisque les restes du premier homme s’y trouvent revivifiés par le sang du salut, en une promesse de résurrection pour l’humanité entière.
Les pieds du Christ reposent sur une planchette qui évite que ses mains ne se déchirent sous le poids. Un perizonium noué sur le côté cache sa nudité. Son visage aux yeux fermés est finement modelé par des ombres légères dessinant sa barbe courte et conférant à la carnation un aspect grisé. Le relief du torse est admirablement travaillé. L’historien de l’art italien Ferdinando Bologna a rapproché le Jésus en croix du folio 177v d’un crucifix peint dans l’atelier de Giotto, à Naples, vers 1333 (collection privée). Cette constatation prouve combien l’influence du style giottesque demeure forte à Naples une vingtaine d’années après la mort du maître, qui séjourna dans la capitale angevine de 1329 à 1333.
Deux groupes en bas de la croix manifestent par des attitudes variées que Jésus vient de rendre l’âme. A gauche sont rassemblées les femmes. La Vierge, qui a pour une fois les traits d’une personne d’âge mûr, est d’une pâleur cadavérique. Tout habillée de noir en signe de deuil, elle s’évanouit de douleur dans les bras des deux Marie – la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas et Marie de Magdala (Jn 19, 25). L’une la soutient sous les aisselles, l’autre la rattrape par son manteau. Dans leur dos, quatre autres femmes se lamentent dont sans doute Salomé, la mère des apôtres Jacques et Jean, ainsi qu’une jeune fille qui tend les bras vers le Messie avec un regard éploré. A droite figurent les hommes : juste derrière le porte-éponge tenant un petit seau rempli du vinaigre qu’il a administré au Christ, un vieillard contemple Jésus en faisant un geste, comme pour dire qu’il s’en est allé ; peut-être s’agit-il du juif Joseph d’Arimathie, un membre du Sanhédrin secrètement converti à l’enseignement du Seigneur. Dans le même temps un garde romain portant armure et bouclier, et nimbé d’une auréole, pointe son index vers le Messie en faisant face au lecteur : il s’agit du centurion touché par la grâce qui s’exclame dans les Evangiles « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu » (Mt 27, 54). A ces mots, les soldats debout derrière lui sont soudain saisis d’effroi.
Les deux voleurs soumis au supplice avec Jésus encadrent le Christ au second plan. Accrochés par les bras à deux croix en tau, les coudes cassés, poignets et chevilles ligotées, on vient de leur briser les tibias. Une chauve-souris noire, emblème du Malin, emporte dans ses griffes l’âme du mauvais larron qui a la forme d’un nouveau-né brunâtre.
Le style d’ensemble de cette miniature est apparenté à la manière du peintre A, mais l’exécution des visages du Christ, de Longin, des deux larrons et de Marie a vraisemblablement été confiée à une main plus experte et plus sensible.