Folios 66v-67 Les noces de l’Agneau (Apocalypse, 19, 5-8)
Cinq convives assemblés autour d’un repas, des anges musiciens et une danseuse : tel est le décor profane planté par l’artiste, qui a choisi de camper les noces de l’Agneau de Dieu dans un cadre moderne – celui du monde courtois des années 1300. Une grande table couverte d’une nappe blanche laisse voir des couteaux à bout carré pour le pain, d’autres à bout pointu pour la viande, ainsi que de la vaisselle d’or et d’argent ; volaille et poisson sont disposés dans des plats. Seuls les nimbes des personnages occupés à festoyer et, au milieu des mets, la présence incongrue d’un petit agneau blanc – doublure symbolique du Christ-roi qui, au centre de la tablée, pose la main sur le cou de l’animal sacrificiel –, rattache discrètement la scène à son contexte messianique et eschatologique. Au dessus des invités du Seigneur, l’inquiétante rosace de gueules rugissantes évoquant les tonnerres dont les grondements accompagnent souvent les théophanies rappelle encore l’imminence de la fin des Temps.
Le canevas iconographique retenu ici cultive en réalité une ingénuité savante et les détails pittoresques plaisants à l’œil sont autant d’indicateurs mnémotechniques destinés à éveiller dans la mémoire biblique du lecteur le souvenir de deux épisodes du Nouveau Testament typologiquement annonciateurs de cette scène : les noces de Cana et, surtout, le dernier repas du Christ, où Jésus en présence des apôtres s’offrait lui-même en victime consentante pour le salut de l’humanité. Le parallèle est d’ailleurs fait par le commentateur (f. 152v) qui cite saint Grégoire ; la parure de l’épouse est, par contre, peinte dans un gris très sobre, alors que le texte parle d’un lin blanc et pur, « resplendissant de la vertu des saints ».
En face, Jean à son pupitre, paumes ouvertes dans l’attitude d’un orant, reçoit la Révélation de la bouche même du Christ-juge – c'est-à-dire, dans l’image, de sa main qui tient un phylactère : le rouleau divin franchit la mandorle céleste et vient toucher le parchemin sur lequel écrit le prophète, en une magnifique métaphore visuelle de l’Ineffable bientôt mué en écriture des hommes, afin de témoigner parmi eux du triomphe du Verbe.
Marie-Thérèse Gousset et Marianne Besseyre
Centre de Recherche sur les Manuscrits Enluminés, Bibliothèque nationale de France
Fragment du volume d’études de L'Apocalypse en Français