Les Heures d'Henri VIII

Luc écrivant, f. 9r


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Les péricopes évangéliques dans la plupart des livres d’heures – et tel est le cas dans les Heures d’Henri VIII – sont illustrées avec le portrait des quatre Évangélistes, chacun d’entre eux étant placé au début de chaque lecture ou péricope. Ainsi les miniatures des Heures d’Henri VIII suivent-elles une tradition issue de l’Antiquité classique – et restée bien vivante au Moyen-Age – de placer un portrait de l’auteur au début de son texte. Ces quatre miniatures suivent l’iconographie conventionnelle pour les livres d’heures, en montrant Luc, Matthieu et Marc assis dans leurs études, en train d’écrire leurs textes dans des codex (s’ils avaient été représentés écrivant sur des feuilles isolées et non reliées – comme c’était la pratique réelle au Moyen Âge et à la Renaissance – les Évangélistes eussent été assimilés à de simples scribes, et non à des auteurs à part entière). Le portrait de Jean est traité différemment dans la série qui nous retient, mais cela aussi était courant. Il est représenté écrivant sur un parchemin plutôt que dans un livre relié. Et il le fait non pas dans l’étude d’un savant, mais à Patmos, l’île où il avait été banni par l’empereur romain Domitien (qui régna de 81 à 96) et où, selon la tradition, il a également écrit son Apocalypse.

Chaque Évangéliste, comme le veut la coutume, est accompagné de son symbole : un aigle pour Jean, un taureau pour Luc, un ange pour Matthieu, et un lion pour Marc. Dans les Heures Briçonnet de Poyer, les attributs des Évangélistes interagissent avec les auteurs, mais dans les Heures d’Henri VIII, les symboles ne viennent pas troubler l’entreprise sérieuse que constitue la composition des Évangiles.

En plus de la convention régissant l’exécution des portraits des auteurs pour les péricopes évangéliques dans les livres d’heures, il en existait d’autres, bien que moins fréquemment suivies. Il s’agissait d’illustrer parfois les quatre péricopes avec des épisodes de la vie des Évangélistes ou avec un événement réellement raconté dans les passages eux-mêmes (cette dernière façon de procéder, qui pourrait nous sembler aujourd’hui comme étant la plus logique des deux, est en réalité plus rare). Les Heures d’Henri VIII combinent ces deux traditions. La bordure de la première péricope illustre un événement de la vie de l’Évangéliste concerné : Jean bouilli dans l’huile. Avant de le bannir à Patmos, l’empereur Domitien avait essayé de se débarrasser de l’Évangéliste en le faisant bouillir jusqu’à ce que mort s’ensuive. Dans la bordure, un homme attise le feu au moyen d’un soufflet, faisant grimper la température à un tel degré que les autres bourreaux doivent se protéger le visage de la chaleur dégagée. Jean, qui prie tranquillement dans la cuve d’huile bouillante, en sort indemne. Et il échappe à la mort.

Les trois péricopes suivantes illustrent dans leurs bordures des événements mentionnés dans les textes eux-mêmes. Comme c’est souvent le cas dans les manuscrits médiévaux, les mots d’ouverture des passages semblent avoir directement inspiré les images. L’ouverture du texte de Luc (traduit ci-dessus) est « In illo tempore. Missus est Gabriel angelus a D[e]o in civitatem Galilee cui nomen Nazareth ». Dans cette Annonciation, Dieu le Père se retrouve investi d’un rôle essentiel, celui de diriger à la fois Gabriel et la colombe du Saint-Esprit vers la Vierge de l’Annonciation. La péricope de Matthieu commence avec « Cum natus esset Ihesus in Bethleem Iude in diebus Herodis Regis: ecce Magi ab Oriente venerunt Ierosolimam » (« Jésus étant donc né dans Bethléhem, ville de la tribu de Juda, du temps du roi Hérode, des mages vinrent de l’Orient à Jérusalem… »). La bordure montre les trois Rois, accompagnés de leur suite et en provenance de trois endroits légèrement différents, qui se rencontrent à une croisée de chemins alors qu’ils sont en route vers où l’étoile les conduit. La péricope évangélique finale, celle de Marc, s’ouvre avec « In illo tempore. Recumbe[n]tibus undecim discipulis apparuit illis Ih[es]us: et exprobravit incredulitatem illoru[m] et duritiam cordis: quia his viderant eum resurrexisse non crediderant » (« Enfin Jésus apparut aux onze, lorsqu’ils étaient à table ; il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur, de ce qu’ils n’avaient point cru ceux qui avaient vu qu’il était ressuscité »). Un Christ à la mine renfrognée a un geste de réprimande envers les apôtres tandis qu’il leur reproche leur manque de foi et la dureté de leur cœur.

Le lecteur contemporain des Heures d’Henri VIII pouvait repérer, à travers leurs vêtements, que les quatre Évangélistes vivaient dans « les temps reculés ». Chacun porte une ample et longue tunique assez commune, à manches longues (seules les manches de Matthieu sont courtes, mais leurs broderies les rendent particulièrement exotiques). Chacun d’entre eux porte également un manteau de dessus plutôt simple, bien que volumineux. Jean et Matthieu sont tête nue, tandis que Luc porte une « capeline » (un chapeau très à la mode dans les années 1420, mais franchement désuet à la date où le manuscrit fut peint), et que Marc arbore un turban exotique – presque toujours un signe de l’origine moyen-orientale de celui qui le porte.

Question perspective, Poyer représente les cabinets de travail de Luc, Matthieu et Marc, avec des espaces bien délimités, comme nous l’avons vu pour les intérieurs figurant dans le Calendrier. À chaque fois, le mur ou le portique du fond est parallèle au plan de l’image, et les carreaux du sol, dont les couleurs alternées s’estompent, à mesure qu’ils s’éloignent, se coupent bien à angle droit. Construits sur la base de carrés ou de rectangles, les lutrins, les bancs et les tables de travail laissent voir un devant et des côtés qui s’alignent sur les plans de l’image et les droites orthogonales qui tendent à disparaître au loin.

Roger S. Wieck.
Conservateur des Manuscrits du Moyen Age et de la Renaissance
The Morgan Library & Museum


San Lucas escribiendo, f. 9r

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Luc écrivant, f. 9r

Les péricopes évangéliques dans la plupart des livres d’heures – et tel est le cas dans les Heures d’Henri VIII – sont illustrées avec le portrait des quatre Évangélistes, chacun d’entre eux étant placé au début de chaque lecture ou péricope. Ainsi les miniatures des Heures d’Henri VIII suivent-elles une tradition issue de l’Antiquité classique – et restée bien vivante au Moyen-Age – de placer un portrait de l’auteur au début de son texte. Ces quatre miniatures suivent l’iconographie conventionnelle pour les livres d’heures, en montrant Luc, Matthieu et Marc assis dans leurs études, en train d’écrire leurs textes dans des codex (s’ils avaient été représentés écrivant sur des feuilles isolées et non reliées – comme c’était la pratique réelle au Moyen Âge et à la Renaissance – les Évangélistes eussent été assimilés à de simples scribes, et non à des auteurs à part entière). Le portrait de Jean est traité différemment dans la série qui nous retient, mais cela aussi était courant. Il est représenté écrivant sur un parchemin plutôt que dans un livre relié. Et il le fait non pas dans l’étude d’un savant, mais à Patmos, l’île où il avait été banni par l’empereur romain Domitien (qui régna de 81 à 96) et où, selon la tradition, il a également écrit son Apocalypse.

Chaque Évangéliste, comme le veut la coutume, est accompagné de son symbole : un aigle pour Jean, un taureau pour Luc, un ange pour Matthieu, et un lion pour Marc. Dans les Heures Briçonnet de Poyer, les attributs des Évangélistes interagissent avec les auteurs, mais dans les Heures d’Henri VIII, les symboles ne viennent pas troubler l’entreprise sérieuse que constitue la composition des Évangiles.

En plus de la convention régissant l’exécution des portraits des auteurs pour les péricopes évangéliques dans les livres d’heures, il en existait d’autres, bien que moins fréquemment suivies. Il s’agissait d’illustrer parfois les quatre péricopes avec des épisodes de la vie des Évangélistes ou avec un événement réellement raconté dans les passages eux-mêmes (cette dernière façon de procéder, qui pourrait nous sembler aujourd’hui comme étant la plus logique des deux, est en réalité plus rare). Les Heures d’Henri VIII combinent ces deux traditions. La bordure de la première péricope illustre un événement de la vie de l’Évangéliste concerné : Jean bouilli dans l’huile. Avant de le bannir à Patmos, l’empereur Domitien avait essayé de se débarrasser de l’Évangéliste en le faisant bouillir jusqu’à ce que mort s’ensuive. Dans la bordure, un homme attise le feu au moyen d’un soufflet, faisant grimper la température à un tel degré que les autres bourreaux doivent se protéger le visage de la chaleur dégagée. Jean, qui prie tranquillement dans la cuve d’huile bouillante, en sort indemne. Et il échappe à la mort.

Les trois péricopes suivantes illustrent dans leurs bordures des événements mentionnés dans les textes eux-mêmes. Comme c’est souvent le cas dans les manuscrits médiévaux, les mots d’ouverture des passages semblent avoir directement inspiré les images. L’ouverture du texte de Luc (traduit ci-dessus) est « In illo tempore. Missus est Gabriel angelus a D[e]o in civitatem Galilee cui nomen Nazareth ». Dans cette Annonciation, Dieu le Père se retrouve investi d’un rôle essentiel, celui de diriger à la fois Gabriel et la colombe du Saint-Esprit vers la Vierge de l’Annonciation. La péricope de Matthieu commence avec « Cum natus esset Ihesus in Bethleem Iude in diebus Herodis Regis: ecce Magi ab Oriente venerunt Ierosolimam » (« Jésus étant donc né dans Bethléhem, ville de la tribu de Juda, du temps du roi Hérode, des mages vinrent de l’Orient à Jérusalem… »). La bordure montre les trois Rois, accompagnés de leur suite et en provenance de trois endroits légèrement différents, qui se rencontrent à une croisée de chemins alors qu’ils sont en route vers où l’étoile les conduit. La péricope évangélique finale, celle de Marc, s’ouvre avec « In illo tempore. Recumbe[n]tibus undecim discipulis apparuit illis Ih[es]us: et exprobravit incredulitatem illoru[m] et duritiam cordis: quia his viderant eum resurrexisse non crediderant » (« Enfin Jésus apparut aux onze, lorsqu’ils étaient à table ; il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur, de ce qu’ils n’avaient point cru ceux qui avaient vu qu’il était ressuscité »). Un Christ à la mine renfrognée a un geste de réprimande envers les apôtres tandis qu’il leur reproche leur manque de foi et la dureté de leur cœur.

Le lecteur contemporain des Heures d’Henri VIII pouvait repérer, à travers leurs vêtements, que les quatre Évangélistes vivaient dans « les temps reculés ». Chacun porte une ample et longue tunique assez commune, à manches longues (seules les manches de Matthieu sont courtes, mais leurs broderies les rendent particulièrement exotiques). Chacun d’entre eux porte également un manteau de dessus plutôt simple, bien que volumineux. Jean et Matthieu sont tête nue, tandis que Luc porte une « capeline » (un chapeau très à la mode dans les années 1420, mais franchement désuet à la date où le manuscrit fut peint), et que Marc arbore un turban exotique – presque toujours un signe de l’origine moyen-orientale de celui qui le porte.

Question perspective, Poyer représente les cabinets de travail de Luc, Matthieu et Marc, avec des espaces bien délimités, comme nous l’avons vu pour les intérieurs figurant dans le Calendrier. À chaque fois, le mur ou le portique du fond est parallèle au plan de l’image, et les carreaux du sol, dont les couleurs alternées s’estompent, à mesure qu’ils s’éloignent, se coupent bien à angle droit. Construits sur la base de carrés ou de rectangles, les lutrins, les bancs et les tables de travail laissent voir un devant et des côtés qui s’alignent sur les plans de l’image et les droites orthogonales qui tendent à disparaître au loin.

Roger S. Wieck.
Conservateur des Manuscrits du Moyen Age et de la Renaissance
The Morgan Library & Museum


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