Description
Livre de la chasse, Gaston Fébus
Bibliothèque nationale de France, Paris
Le livre
Le Livre de chasse fut rédigé, ou plus exactement dicté à un copiste, entre 1387 et 1389 par Gaston Fébus, comte de Foix et vicomte de Béarn, et dédié au duc de Bourgogne Philippe le Hardi. Cet homme à la personnalité complexe et à la vie mouvementée était un grand chasseur et un grand amateur d’ouvrages de vénerie et de fauconnerie. L’ouvrage qu’il composa avec beaucoup de soin fut, jusqu’à la fin du XVIe siècle, l’ouvrage de référence de tous les adeptes de l’art de la chasse. D’autre part, le Livre de chasse, se fondant sur la description précise de la nature et de différents genres d’animaux, écrit avec clarté et précision, posa les bases d’une vaste histoire naturelle que, des siècles plus tard, un naturaliste aussi réputé que Georges Buffon (1707-1788) n’hésitera pas à reprendre pour sa propre Histoire naturelle qui servira de manuel jusqu’au XIXe siècle.
Parmi les quarante-quatre exemplaires conservés de cet ouvrage, le manuscrit français 616 est sans doute le plus beau et le plus complet. Le texte est écrit dans un excellent français ponctué de quelques caractères normands-picards. Ce manuscrit, en plus du Livre de chasse proprement dit, comporte le Livre d’oraisons aussi rédigé par Gaston Fébus, ainsi qu’un deuxième traité nommé Déduits de la chasse rédigé par Gace de la Buigne. Ses pages sont illustrées de 87 enluminures d’une excellente qualité qui comptent parmi les productions les plus séduisantes de l’enluminure parisienne du début du XVe siècle. Plus encore, rares sont les ouvrages destinés à l’enseignement de l’art de la vénerie qui bénéficient d’une richesse d’illustration comparable à celle des Bibles.
La leçon
Le Livre de chasse fut, jusqu’à la fin du XVIe siècle, le bréviaire de tous les adeptes de l’art de la chasse ou art cynégétique. Il s’agit d’un ouvrage d'instruction pour les chasseurs, en sept chapitres encadrés d’un prologue et d’un épilogue, décrivant dans le détail comment mener à bien une chasse à courre. Ecrit pour de jeunes élèves, le texte présente la concision d'une leçon mais avec la vivacité et l'intérêt de l'homme impliqué dans son discours. Gaston Fébus ne lésine pas l'importance à donner aux animaux qui prennent part à la chasse, en particulier les chiens, fidèles compagnons des chasseurs. On apprend ainsi les diverses races et leurs comportements, la façon de les dresser, les nourrir et même de soigner leurs diverses maladies. On prend ainsi conscience que la chasse, passe-temps de prédilection pour tout seigneur du Moyen Âge, n'est pas seulement un loisir mais bien plus, de nombreuses compétences et qualités autant professionnelles qu’humaines y sont associées.
Mais ce serait manquer la quintessence de l’œuvre de Gaston Fébus que de s’en tenir à son contenu technique. En effet, dépassant le cadre de la chasse, ce traité original et personnel se veut avant tout une entreprise propre à son époque, alors que l'idée de péché et la crainte de la damnation étaient omniprésentes. Gaston Fébus, en rédigeant son ouvrage, présente la chasse comme un exercice rédempteur qui permettrait au chasseur d'atteindre directement le Paradis. En effet, cet exercice physique, demandant un savoir-faire certain, est un excellent moyen d’éviter l’oisiveté source de tous les maux, et entretenir son corps et son esprit à bon escient, évitant ainsi tout péché. Ce qui est en jeu dans cet ouvrage est donc le tragique de l’existence humaine, la quête d’une vie éternelle après le passage sur Terre, dont l’obtention doit être méritée.
L’illustration
Les enluminures ont été confiées à plusieurs artistes, notamment à un groupe appelé le « courant Bedford », duquel se démarque le Maître des Adelphes, pour son sens de l'observation et sa stylisation décorative qui rendent ses œuvres très représentatives du style gothique international. Ayant collaboré avec ce groupe, on a identifié le Maître d'Egerton, au style proche des frères Limbourg. Enfin, on pense pouvoir distinguer le Maître de l'Epître d’Othéa dont les œuvres sont reconnaissables pour leur texture picturale épaisse, très différente de la facture lisse et porcelainée du courant Bedford, avec lequel il ne semble avoir collaboré que dans ce seul manuscrit.
Maîtrisant parfaitement les codes de représentation du Moyen Âge, l'enlumineur met son art au service du propos pédagogique de Gaston Fébus. Les arrière-plans superbement décorés des enluminures rappellent les tapisseries de la même époque, en petit format. L'artiste ne cherche pas tellement à représenter un espace réel mais à souligner la hiérarchie des valeurs. Tout est calculé et réfléchi dans un discours cohérent. Le passage du temps est ainsi évoqué, par les différents âges donnés aux personnages, leurs activités, leurs rapports et leurs situations dans l'espace ; mettant ainsi en parallèle le temps de la chasse et celui de l'apprentissage au cours de la vie. Beaucoup de grandeur et de sérénité ressortent de l'aspect à la fois mimétique et ordonné des éléments, entrainant ainsi le lecteur à la découverte d'une chasse bien menée et, au-delà d'une leçon de chasse, propose une leçon de vie.
Ainsi, un jeu de correspondance, typique de l’époque, apparait dans ce manuscrit : les parties du corps renvoient aux planètes, les fleurs aux étoiles et la terre au ciel. Le monde fait sans cesse écho à lui-même. Par ailleurs, la proximité des êtres et des choses, associée à la dynamique des lignes, traduit une communication, une résonnance des uns avec les autres. De fait, comme l’explique le philosophe Michel Foucault, jusqu'au XVIe siècle la connaissance du monde visible et invisible, l'art de le représenter et de l'interpréter, se constituent sur la ressemblance et la répétition : la terre reflète le ciel, l'art est miroir du monde. Dans le cas précis du Livre de chasse, cette haute réflexion ainsi menée rappelle la communion qui existe entre les chasseurs et leurs proies, évoquant ainsi la dimension spirituelle de la chasse, la rédemption et le salut qu'elle promet.
Histoire du manuscrit
Au long de son existence, le manuscrit a changé de nombreuses fois de propriétaires : Aymar de Poitiers (fin du xv e siècle) ; Bernard de Cles, évêque de Trente, qui, peu avant 1530, offre le manuscrit à l’archiduc d’Autriche Ferdinand Ier de Habsbourg, frère de Charles Quint. En 1661, le marquis de Vigneau fait don du Livre de chasse au roi Louis XIV (règne 1643-1715), qui envoie le manuscrit à la Bibliothèque royale. En 1709, il est sorti de la bibliothèque et placé dans les mains du Dauphin et duc de Bourgogne, qui, à son tour, l’aurait placé dans le Cabinet du Roi. En 1726, le manuscrit réapparait dans la bibliothèque du château de Rambouillet, en possession du comte de Toulouse. A la mort de celui-ci, le manuscrit reste au pouvoir de son fils, le duc de Penthièvre. Plus tard, il appartient à la famille d’Orléans et finalement au roi Louis-Philippe Ier qui, en 1834, le dépose au Louvre. Après la révolution de 1848, il est remis à la Bibliothèque nationale.